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Pendant deux ans je rencontrais Broutille de loin en loin car Yasmina avait une solide santé et une vie saine. Mais nos rares entrevues étaient toujours -me concernant- de bienheureuses retrouvailles. Les consultations qui suivaient me paraissaient moins besogneuses l’affaire de quelques heures. Jusqu’à ce que quelque grognon mal embouché, allergique au gluten des fraises tagada ou simple hémorroïdaire en crise, ne remette le fil de ma pensée dans son axe ordinaire. Le souvenir de Broutille s’estompait alors doucement me laissant dans l’espoir attendri de son retour prochain.


Un jour -c’était pendant la canicule- Yasmina vint me consulter avec Stéphane. Leur bonheur crevait l’écran total. Ils me demandaient un « certificat prénuptial ». Je ne m’attendais pas à cette demande mais Yasmina coupa court à mon inquiétude : les tourtereaux avaient choisi de vivre dans un enclos tout près d’ici et je devinais que Broutille n’y serait pas malheureux.


Quelques semaines plus tard, Yasmina revint me consulter. Elle avait les yeux mouillés par l’émotion. N’y tenant plus et écourtant les politesses encore en usage à l’époque, elle posait sur mon bureau une languette où je reconnus aussitôt l’auréole bleutée des tests urinaires de grossesse positifs.


C’était arrivé bien vite. L’amour des bêtes est aveugle et nous met des œillères si bien que je ne vis dans ce faire-part pisseux qu’une belle occasion de suivre tous les mois la grossesse de Broutille.


Au début Yasmina grossissait un peu trop vite. Ensuite elle se mit à grossir beaucoup trop vite. Je lui prodiguais mes conseils diététiques les plus adaptés. Je lui fournis des modèles de rations raisonnables et étalonnées au mieux pour Broutille. Je me jetais, chevaleresque et au triple galop à son secours en lui prescrivant un régime jockey. Je la mis en garde de bien des façons et ensemble nous comptâmes et recomptâmes les calories. Et même les calories cachées.


Broutille, maintenant juché sur sa colline, perdait de sa superbe. Mais Yasmina gardait l’estomac dans l’étalon. Il fallait à tous crins se donner les moyens d’un épilogue moins volumineux et il m’arriva -allant contre ma nature profonde- de hausser le ton de façon un peu cavalière.


Mais rien n’y fit.


Aujourd’hui, je viens de revoir Yasmina pour sa consultation post-natale. J’étais resté trois mois sans nouvelles de Broutille et j’attendais cette rencontre avec une grande impatience.


Hélas, Yasmina vient de me l’apprendre : elle a finalement pris 19 kilos pendant sa grossesse et ce soir ma main se pose avec tristesse sur son ventre lardé de vergetures.


Broutille n’est plus là. Il s’est fait remplacer. A sa place, imitant sans vergogne sa posture, j’ai fait la connaissance d’un zèbre lézardé, panard, cagneux, bedonnant…

 
Et pour tout dire… saboté.

Le petit cheval noir
de Yasmina a disparu…



Ce soir mon chagrin est immense.

Le petit cheval noir de Yasmina a disparu.


Yasmina a 19 ans. C’est une superbe jeune femme. Sa mère est jurassienne, son père est chilien et l’heureuse initiative de cet improbable alliance a convergé vers une beauté sans faille.


Ce jour-là Yasmina s’était maladroitement tordu le genou lors d’une promenade champêtre. La douleur lancinante se prolongeait et elle avait souhaité me montrer la source de son mal. La blessure était sans gravité. Je la rassurais. Mais une surprise m’attendait à laquelle je n’étais pas le moins du monde préparé. En l’examinant avec attention, je découvrais soudain, là, à la limite de son string, un cheval !


Yasmina s’était fait tatouer sur le flanc gauche, un superbe étalon noir, crinière au vent, tête baissée, qui broutait avec nonchalance et gourmandise sa touffe pubienne joliment dépassante, comme on ferait d’un picotin ordinaire.


Ce fut un choc ! Une inspiration soudaine me fit sur le champ donner le nom de Broutille au superbe animal.

Ce nom bien sûr devait rester secret et réservé à mon seul usage.
Je suivais Yasmina depuis ses premières consultations de nourrisson et elle n’aurait probablement pas compris mon attachement pour ce ruminant herbivore.





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Le petit cheval noir de Yasmina a disparu

La Turlupine


Ce devait être une consultation ordinaire. La délivrance d’un certificat d’aptitude pour le foot. Mais je perçois d’entrée que l’atmosphère est pesante et qu’un tout autre exercice m’attend.

Vincent est consterné et sa mère plus encore.


Cet ado de 13 ans est ce qu’il est convenu d’appeler un élève brillant. Il a un an d’avance. Il est parmi les tous premiers de sa classe de quatrième en maths, en français, en allemand, en gym, et même en musique. Il dessine aussi avec talent. Ce don lui a permis d’échapper aux inévitables accusations de fayotage de ses camarades grâce aux caricatures qu’il fait de ses profs et qu’il distribue alentour sans modération et au péril de ses mercredis après-midi en grande partie dédiés aux heures de colle.


Il ne manque pas d’humour et nos conversations sont le plus souvent virevoltantes et guillerettes. Mais aujourd’hui l’ambiance est plombée.

Vincent a eu la visite du médecin scolaire comme chaque année 1 et sa physionomie, d’habitude si joviale, en dit long sur sa détresse du moment. C’est que pour la première fois de sa vie, il vient « de se ramasser une bâche ».


-Qu’est-ce qui te turlupine Vincent ?

Navré, il me montre son carnet de santé où je peux déchiffrer son poids, sa taille, son acuité visuelle mais aussi cette mention sibylline mais soulignée : T = 0.

Vincent s’est bien vite renseigné sur cette cotation énigmatique.


I


Il est dépité et m’explique à mots couverts :

- C’est mes testicules Docteur… je n’ai pas encore de poils et ils n’ont pas encore commencé à grossir. Le médecin scolaire m’a expliqué qu’on les appelle T = 0.

Vincent a les yeux rouges et il me semble qu’il a reniflé discrètement en détournant le regard vers la fenêtre. Sa mère n’est pas plus faraude et, comme si souvent les mères, elle saisit cette occasion pour se culpabiliser.
 - C’est ma faute, Docteur, je crois que je l’ai trop couvé…


J’essaye avec conviction d’expliquer qu’aucune publication scientifique récente ni ancienne n’a démontré de façon formelle que lorsqu’une mère couve trop son fils ses testicules s’en trouvent ratatinés d’autant. Et je soutiens mordicus et aussi avec solennité que des testicules rabougris à 13 ans restent promis à un bel avenir. J’affirme l’avoir constaté souvent. Et hier encore !

Mais elle reste incrédule et glaciale m’invitant plutôt à lui confier quelques mouchoirs en papier…

Déjà elle renchérit sur sa détresse.


- En plus avec Laura qui a deux ans de moins que lui et qui met déjà mes soutien-gorge, ça le flingue le pauvre gosse, moi je peux me mettre à sa place.


La générosité de cette mère, prête à prendre la place de son fils et à exhiber sur sa propre anatomie des testicules chétifs et dérisoires pour soutenir son rejeton ébranlé par cette couillonnade m’apparut soudain comme une preuve frappante de la noblesse de l’amour filial.
Mais je me gardais d’exprimer mon admiration.   


Si j’en ai vu des testicules dans ma carrière !


Des jeunes, des vieux blanchis sous la hernie, des remuants, des assagis, des bronzés, des pâlots, des chahuteurs et des timides. J’en ai vu des gauches, des droits, des très adroits, des un peu gauches, des divergents, des convergents et certains qui m’ont paru louches.  

Si j’en ai vu des testicules dans ma carrière !

Des croquignols, des roubignolles. Des batailleurs, des bites ailleurs, des hargneux, des winners et d’autres qui partent en couilles à la première débandade. Des cabots, des cabossés j’en ai vu aussi. Et des tuméfiées, et des qui se méfient…



Si j’en ai vu des testicules dans ma carrière !

J’en ai vu des pistonnés… des bien assis et des branlants… J’en ai vu qui avaient des hauts et des bas. J’en ai vu des ridicules et des minuscules, et des MAJuscules aussi. J’en ai même vu que je ne voyais pas et qu’on appelle les testicules ectopiques 2.

 
J’en ai vu, qui montent en bourse dans des lits d’initiées.

J’en ai vu qui pendaient ou qui ne pendaient pas, ça dépendait.
J’en ai vu des pisiformes, des piriformes, j’en ai vu des pires formes. Et certains pas très en forme.


Alors forcément, j’ai dû en voir aussi des T = 0 !

Et des T = 1 ou 2 ou 3. J’ai sûrement vu des T = 4. Mais je ne suis que médecin généraliste et les guides des bonnes pratiques m’exhortent déjà à classer les tumeurs, les dyspnées ou les artérites.
C’est bien pour ça que je préfère ne pas me prendre la tête avec les testicules.


Et de surcroît, j’ai peine à croire que ce genre d’inscription sur le carnet de santé de Vincent, à 13 ans, représente une avancée majeure de la médecine préventive qui lui est due.

Pour tout dire, devant cette cotation en bourse je suis un peu comme Vincent, j’ai les boules !


Notes :

 1- Je vous parle d’un temps révolu. Aujourd’hui les économies nécessaires ajoutées aux baisses des vocations ont raréfié et parfois fait disparaître les visites médicales de santé scolaire.


 2- Les testicules ectopiques sont des testicules qui ont raté leur migration pendant la vie embryonnaire. Restés coincés dans la cavité abdominale, ils doivent être opérés car -laissés en l’état- ils présentent un fort risque de cancérisation.

 C’est devenu une pratique habituelle de classer selon différents critères les pathologies pour les comparer ou en suivre l’évolution.


Le jour où j’ai enfin cru
au Père Noël

Elsa sanglotait.

Depuis son irruption dans mon cabinet elle n’était que sanglot et je ne savais pas comment m’immiscer entre deux kleenex pour entamer un dialogue constructif. D’ailleurs le souhaitait-elle vraiment ? Pour l’instant son monologue se prolongeait :

- C’est un cauchemar, docteur ! Dites-moi que je vais me réveiller !
Je le tuerai ! Je le tuerai et ensuite je me tuerai aussi !
Le salaud ! Il va voir de quel bois je me chauffe ! 

Elsa avait beaucoup de difficulté pour évacuer, parmi les spasmes du chagrin, la rage qui sauvagement la submergeait.

Elle vilipendait l’ignoble Luccho qui l’avait plaquée alors qu’elle avait tant fait pour lui.

Déjà elle avait plaqué Frédo son ex- pour lui et ça n’était pas rien d’avoir plaqué Frédo ! Elle s’était mise en disponibilité et avait déménagé pour lui. Elle avait fait le test du Sida pour lui. Elle qui détestait les piqûres. Elle portait des porte-jarretelles pour lui et elle s’était même rasée le pubis jusqu’à en arriver à ce ridicule ticket de métro qui -disait-elle- la dénaturait et se voyait comme le nez au milieu de la figure. Et pour gagner quoi ? Je vous le demande !



  -Vous l’avez-vu la dernière fois docteur, le ticket de métro… Ne me dites pas qu’il ne faut quand même pas aimer un homme pour en arriver à cette extrémité… 

C’est un fait.

- Heureusement encore que je n’ai pas des idées suicidaires sinon je me demande ce que je ferais !

Et lui, Luccho, le salaud, avait tout promis : le mariage dès que son divorce aurait abouti, et de lui faire un enfant, un garçon, style italo comme lui. Et il avait promis d’abandonner sa garce de femme mais ses enfants aussi… Il avait tout promis comme font les hommes. Et aujourd’hui il était parti. Elsa voulait mourir. Le plus vite possible. Mais sans souffrance supplémentaire.

J’étais un peu désemparé et aussi je n’avais plus de Kleenex.

Je décidais de prescrire à Elsa un antidépresseur, nouveau venu sur le marché : un « inhibiteur de la recapture de la sérotonine » 1.
On en disait grand bien. Mais j’hésitais toujours à soumettre mes patients à ces molécules prometteuses et je préférais voir venir quand des confrères plus téméraires avaient essuyé les plâtres.
C’est qu’il y a parfois des déconvenues.

Dix jours plus tard, la veille de Noël, Elsa m’avait appelé à son chevet. Elle souffrait d’un méchant mal de gorge qui menaçait son réveillon.
Je la trouvais transformée ! Elle avait retrouvé sa joie de vivre et était pétulante comme aux plus beaux jours. Elle ne faisait aucune allusion à Luccho et je me gardais bien d’aborder ce sujet de conversation brûlant.

J’étais bluffé. Nous étions donc bien devant cette révolution thérapeutique annoncée. Certains avait parlé de « la molécule du bonheur » récoltant des haussements d’épaules polis. Nous avons été si souvent échaudés par de nouveaux traitements qui n’ont pas tenus leurs promesses…

Mais là je devais me rendre à l’évidence : le vingt et unième siècle serait le siècle du bonheur pour tous pour un prix abordable en une seule prise quotidienne avec un grand verre d’eau le matin au petit déjeuner.

Soudain la porte d’entrée s’ouvrit et je vis entrer le Père Noël avec un bouquet de roses à la main.

 - Il faut que je fasse les  présentations, murmura Elsa après une déglutition douloureuse.

- Mais enfin Elsa je connais le Père Noël depuis toujours ! 

Elle partit d’un grand éclat de rire :

- Mais non Docteur ! Ça n’est pas le Père Noël ! Il s’est déguisé ! C’est Luccho ! Je ne vous l’ai pas dit mais on s’est remis ensemble… 

Depuis ce jour-là j’ai fait un grand progrès dans ma façon de traiter les états dépressifs parce que maintenant je crois au Père Noël.

Note :
1- Nous étions dans les années 1988-1990.

Le jour où j’ai enfin cru au Père Noël

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Comme des fous !

J’ai trop aimé ce métier pour ne pas être gravement offusqué quand certains voulaient le moquer ou le dénaturer.

Ainsi une interview dans notre journal médical Le Généraliste, en Mars 2000 de Madame Élisabeth Badinter m’est apparue inacceptable.

L’occasion d’un courrier en forme de droit de réponse dans ce journal qui l’avait accueillie dans ses colonnes…



Mon admiration pour Madame Élisabeth Badinter est inébranlable et il en faudrait plus que ses propos récents dans Le Généraliste pour la faire vaciller un tant soit peu. Mais comme l’idée est donc saugrenue de venir sur nos terres au Généraliste, pour faire une déclaration si peu diplomatique et si peu amène pour la profession.

Il faut s’attendre inévitablement à quelques réponses pimentées !


Ainsi donc vous dites, Madame Badinter : « D’une certaine façon, c’est le gynécologue qui est le médecin généraliste de la femme » ; et vous ajoutez sans baisser le ton « Beaucoup de femmes, qui sont dans la force de l’âge, ne vont quasiment jamais voir un généraliste ». Et sur le même ton péremptoire : « Dans une famille suivie par un généraliste il n’est pas pensable que la jeune fille de 14 ou 15 ans osera demander
à ce généraliste de lui prescrire une pilule contraceptive
» …


L’étonnement des médecins généralistes en lisant ces lignes est à son comble mais heureusement vous nous donnez la réponse : « Parmi les femmes que je connais, pas une seule ne voudrait que ses problèmes gynécologiques, qui relèvent donc de la sexualité, soient traités par leur généraliste ».  Le problème est donc ce que les médecins appellent un biais de sélection ou un biais de recrutement : vous ne connaissez pas les femmes, mais vous connaissez seulement celles vous connaissez et c’est bien ce fossé qui vous sépare du monde.
En tout cas du mien !


Savez-vous que j’ai encore vu la Paulette cet après-midi ? J’auscultais ses poumons en pensant à vous Madame Badinter.

Je pensais à vous parce que le médecin généraliste s’ennuie pendant qu’il ausculte les poumons. C’est comme un murmure qui dure. Des alvéoles là-dessous se plissent et ce déplissent sur un rythme lent et monotone. Comme un flux et un reflux, l’écume et les crabes en moins. Mais l’auscultation pulmonaire a deux avantages : le médecin pressé peut, dans le dos du patient, jeter un furtif coup d’œil sur sa montre ;
le médecin qui a un peu de temps peut discrètement visiter du regard l’environnement de son patient. À condition d’avoir vérifié que son image n’est pas renvoyée par la grande glace frontale de l’armoire !

C’est en voyant toutes ces photos agrafées sur le mur, pendant que j’auscultais Paulette que j’ai pensé à vous.


Il y avait Laura, la petite-fille qui vient de partir pour faire ses études à Montréal. À côté, il y avait une feuille d’érable rouge plastifiée sur laquelle était écrit : « Mémé, je t’aime, ta Laura ». Alors, puisque les poumons de Paulette n’avaient pas de confidence à me faire, nous avons parlé ensemble de Laura, de son appendicite à sept ans, pendant ses vacances chez Paulette et Grégoire. Il avait fallu faire vite et on avait pris la décision de l’adresser au chirurgien ensemble puisqu’on ne pouvait joindre sa maman. Paulette a versé quelques larmes en brassant ces souvenirs : « Au fait il ne faudra pas oublier de me mettre les gouttes artificielles pour mes yeux secs, on a oublié la dernière fois… »


Elle est devenue si grande Laura… « Elle fréquente, me dit Paulette. C’est qu’elle est en âge maintenant ! ». Je souris intérieurement. Paulette n’en saura rien mais je revois furtivement Laura quand elle avait 15 ans venant chercher la pilule. « Ne le dites pas à ma mère, elle me tuerait ! ». J’avais vu sa mère la semaine précédente : « Je crois que Laura a un copain. Je vais vous l’envoyer sous un prétexte quelconque pendant les vacances de Pâques. Donnez-lui la pilule ! Je serais tellement plus rassurée ! Moi, je ne sais pas comment m’y prendre pour lui en parler… »

Alors j’ai donné et personne n’a tué personne.


Paulette m’a montré aussi ses pieds déformés par l’arthrose. Il y avait une grosse induration cornée qui lui faisait un mal de chien à chaque appui. Je l’ai décollée comme j’ai pu avec ses ciseaux de couture.
- Ça va déjà mieux ! Si je vous en fais voir Docteur avec toutes mes misères !


J’ai gagné un chocolat en dédommagement de ma peine. Paulette fait elle-même ses chocolats.

- Grégoire les aimait tant… Vous vous souvenez Docteur ?


Grégoire est parti il y aura bientôt 15 ans. Un méchant cancer de la vessie opéré, réopéré, une vessie refaite avec un bout de colon, des sondes par-ci, des sondes par-là, en tout cas toujours bouchées les sondes. Si on a bataillé ensemble avec ces fichues sondes !

Surtout Paulette… Je me souviens de ce matin-là où, appelé d’urgence, je l’ai surprise sans son maquillage. C’est ce jour-là que j’ai compris qu’elle était vieille. Puis Grégoire est mort. Elle est restée vieille. Mais si courageuse ! On se débrouille pour en parler parfois de son courage pendant cette épreuve. Ça lui donne de la force à Paulette, cette admiration affichée de son Docteur !




On fait sortir Miou-Miou, le chat, qui trône dans ce qui fut autrefois une corbeille à pain. On écarte le journal. Elle me l’a mis de côté à cause de l’accident qui a eu lieu avant-hier à Courbouzon. Et aussi « parce qu’avec tout votre travail, je sais bien que vous n’avez pas le temps de le lire. Il y a un jeune qui est à moitié dans le coma… Que voulez-vous aussi !
Les gens vont comme des fous ! »


Je commence à rédiger son ordonnance.

- Mais comment se fait-il ? On n’y voit rien aujourd’hui Paulette ! 

Nos regards se croisent, un bref instant de gène et de confusion, un coup d’œil vers le lustre en porcelaine et je comprends bien vite…

- Pensez-vous Paulette, mais je vais bien vous la changer moi votre ampoule. J’en ai pour une minute. Vous n’allez quand même pas déranger M. Marcillat pour ça. Il serait encore capable de vous prendre plus cher que ma visite. Vous allez vouloir me le raconter la prochaine fois et vous vous doutez bien que ça va me faire du mal.

Paulette m’a souri. Et j’ai changé l’ampoule au prix de quelques acrobaties sous l’œil inquiet de Paulette et de Miou-Miou…


En sortant, j’ai croisé Madame Blanchet. Elle a dû être surprise par mon air hilare. C’est que j’imaginais Paulette, cul nu, les pieds dans les étriers d‘une table d’examen, les cuisses écartées et racontant sa sexualité à son gynécologue. Comme une parisienne des beaux quartiers !


Peut-être au fond a-t-elle, comme ses yeux, le vagin sec Paulette ? Allez savoir ! Il faut absolument que je me sorte cette idée de la tête.

C’est typiquement une idée qui peut m’occuper tout un après-midi, comme les refrains de Jo Dassin… C’est décidé ! Plutôt que de ressasser le vagin sec de Paulette je vais plutôt m’efforcer de fredonner « les Champs Élysées » en pensant aussi à vous Madame Badinter.




Au fond, chez Paulette, ce n’est pas son vagin sec qui m’émeut. Ce sont ses yeux humides. Mouillés de tendresse, de chagrin, d’émotions, de colères et de souvenirs.
Mouillés de sa peur de la mort, du destin de Laura et de l’accident de Courbouzon.
Mouillés de mes larmes artificielles pour éviter qu’ils ne sèchent.

Je ne conteste pas qu’elle ait des ovaires, Paulette, ô non ! Et aussi des trompes, un utérus et même un clitoris mais elle a tellement plus aussi !

Elle a tellement plus car c’est une vieille femme Paulette. Ça fait trente ans qu’elle me confie sa santé. Trente ans de complicité, de silences partagés et d’éclats de rire.
Et de larmes aussi.


Mais elle n’a pas de gynéco.

Vous savez le médecin généraliste de la femme.


C’est quand même vrai que les gens vont comme des fous…

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